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Hackons ces bornes à la con !

Mais à quoi peuvent bien servir ces bornes qui fleurissent dans les gares ?

Je l’ai déjà évoqué sur twitter, Geoffrey en a parlé sur graphism.fr, vous avez pu les voir se multiplier dans toutes les gares de France, je parle de ces bornes de couleurs qui sont dispersées un peu partout et vous propose « d’aimer » en appuyant sur un bouton, ou de faire un truc compliqué pour ne pas aimer. Le truc compliqué étant de scanner un QR code puis de saisir un commentaire dans un formulaire après avoir bien confirmé que vous n’aimiez pas.

Je vous propose le jeu suivant et je vous explique pourquoi :

Si vous avez 5 minutes à perdre dans une gare, faites un maximum d’appuis ou trouver le plus au haut score possible sur une de ces bornes, puis tweeter le score, le hashtag #ScoreSncf, la gare et si possible une photo.

Quelles infos la SNCF peut en tirer ?

Déjà, ces bornes ne sont pas reliées sur le courant, elles sont autonomes, et donc vraisemblablement pas reliées à internet en Wifi ou autre. Le système est relativement basique, un bouton, un compteur avec un écran à quartz. Ça doit pouvoir tenir des plombes (un an au moins) avec une simple batterie, voir de simples piles. Donc pas d’infos en temps réel.

Ça compte le nombre de « j’aime », ok, mais pourquoi faire ? Par rapport à la fréquentation de la gare, non, celles bien en vue seront plus utilisées que celle cachées dans un endroit moins fréquenté. Pour vous donnez une idée, je passe régulièrement gare Montparnasse, et je suis allé aux toilettes (Oui, je ne suis pas une princesse…). Là, il y a un tourniquet à l’entrée des toilettes qui affiche le nombre de passage, certes je ne sais pas depuis quand, mais c’est une mesure « fiable » car obligatoire. Une borne à l’entrée vous demande si vous aimez l’état des toilettes. Elle affiche 5 000 « j’aime » environ, le tourniquet affiche plus de 400 000 passages uniquement pour les hommes (à 50 centimes, le passage je laisse imaginer la somme gagner par la SNCF). De même à la sortie l’espace voyageur à 10 mètres, sur le chemin des toilettes, il y a une autre borne qui elle présente un peu plus 10 000 « j’aime ».

Donc 800 000 passages (400 000 x 2), 10 000 « j’aime » et 5 000 « J’aime » sans doute sur des périodes de temps différentes, autrement dis ça ne veut rien dire. De plus, vous pouvez appuyer autant de fois que vous voulez.

Il n’y a rien de réellement exploitable dans de telles données qui sont recueillies je ne sais pas trop comment ni à quelles fréquences.

Les je n’aime pas ?

Quand j’ai posté sur twitter, la SNCF m’a fait cette réponse :

bornesncf

Réponse sur twitter

Bien sûr, c’est une jolie réponse politiquement correcte, mais la capacité à recueillir des avis d’un tel système doit frôler le zéro absolu.

De plus certaines questions sont évidentes et orientées : « Une gare toujours plus propre, vous aimez ? » « nan je préfère quand c’est crade et que ça pue la pisse »

J’aimerais bien savoir combien ils ont de retours et quel est le contenu de ces retours ?

Je résume, recueillir les avis positifs n’a pas de sens et ceux négatifs frôlent sans doute le zéro. Donc ça sert à quoi ce bazar ? Surtout que vu le nombre de bornes déployées ça doit commencer coûter de l’argent au passage.

Alors ? Ça sert à quoi ?

J’avais lu une étude, il y a fort longtemps (je n’ai plus la référence) sur la perception de l’attente à un passage piéton. Le fait d’appuyer sur un bouton pour faire changer le feu, suffisait à diminuer la perception du temps d’attente, même si celui-ci restait le même que la personne puisse appuyer ou non.

On peut faire l’hypothèse que ces bornes ne sont pas là pour recueillir un avis des utilisateurs mais pour changer la perception qu’ils ont de la gare. C’est aussi accompagné d’une campagne d’affichage pour inciter à l’utilisation de ces bornes.

Oui, influencer la perception des utilisateurs.

Oui, si je vous demande « Une gare toujours plus propre, vous aimez ? » c’est aussi un moyen de vous faire remarquer que la gare est propre, enfin on l’espère. Si je vous demande « Cette nouvelle boutique vous aimez ? » « Ha, elle est nouvelle ? Donc la SNCF aurait fait quelque chose pour moi ? ». Pareil, « Un piano dans votre gare, vous aimez ? » obtient a priori un gros succès vu que c’est visible et audible ! Donc ça permet d’attirer l’attention de l’utilisateur sur un sujet, un point particulier, un changement que celui-ci soit perceptible ou non, comparable ou non avec la situation antérieure.

Deuxième temps, communiquer c’est bien engager c’est mieux. Oui, une simple action comme appuyer sur ces boutons demande un comportement actif de la part de l’utilisateur. Et ce comportement va engager l’utilisateur au même titre que quand vous signez une pétition ou donner quelques centimes à quelqu’un. C’est-à-dire qu’une fois cette action réalisée, vous allez vous-même vous convaincre de l’utilité de cette action, et ce de manière pas nécessairement consciente.

Donc, là concrètement, vous allez appuyer sur « j’aime » et le faire dans un lieu public à la vue de tous. Si « vous aimez » la propreté de cette gare, votre cerveau va faire en sorte que vos souvenirs et votre image de vous-même soient en cohérence avec cette action. Donc vous allez peut-être vous souvenirs plus fortement d’une ancienne situation désagréable, par exemple une odeur d’urine dans un couloir de métro et par la suite ne plus jeter de papier par terre, ce que bien sûr, n’a jamais été le cas pour vous (La prochaine fois, je vous explique comment modifier des souvenirs).

Troisième temps. L’engagement d’une personne dépend de la visibilité de l’action, mais aussi du coût de celle-ci. Et appuyer sur un bouton à un coût assez faible. Par contre, utiliser un QR code (télécharger l’application ?), aller sur internet, puis rédiger une remarque, à un coût beaucoup plus élevé. C’est un moyen pour engager plus fortement la personne vers un comportement attendu.

Le comble du comble ?

« C’est quand un muet dit à un sourd qu’un aveugle les regarde »

J’en reviens à l’idée de base, c’est que ces bornes ne sont pas là pour « écouter » les utilisateurs vu qu’elles ne sont pas conçues pour et que les données récupérées ne seraient pas exploitables de manière statistiquement valide. Donc le but est ailleurs, probablement, il faut regarder sans doute du côté de la communication et/ou du marketing avec des objectifs de changements de la perception des gares.

Je doute pour l’instant sur la capacité de la SNCF à aller plus loin dans une démarche de persuasive design qui viserait à faire changer certains comportements.

Hackons ces bornes à la con

Comme visiblement ce système n’est pas fait pour faire ce qu’il dit faire, faisons lui faire autre chose. (5 faire dans une même phrase, ça, c’est fait). Je vous propose simplement de détourner le système, en quelque chose de plus ludique. Comme c’est bientôt les vacances pour certains ou du moins vous aurez l’occasion de passer dans les gares, je vous propose un petit concours :

Si vous avez 5 minutes à perdre, faites un maximum d’appuis ou trouver le plus au haut score possible sur une de ces bornes, puis tweeter le score, le hashtag #ScoreSncf, la gare et si possible une photo.

Il n’y a rien à gagner si ce n’est la gloire du plus haut score et d’avoir détourné le système.

Un autre système à la con, mais on ne peut pas lire le score ! (Merci Geoffrey)

Auteur :

Lead UX designer en Freelance depuis le dernier millénaire ! J'aide à concevoir des services, des applications en étant centré sur l'utilisateur et ses usages.

6 commentaires

  1. Ah ah, excellent article et vision que je partage 🙂 Content que tu ai pris le temps d’écrire sur le sujet. J’ai pas mal d’idées pour « hacker » ce genre de bornes à coup de scotch ou de détournement de code QR, on en reparle quand tu veux !

  2. En effet, merci pour cette analyse.
    Vous pourriez avoir raison. Il ne s’agirait pas d’avoir des données de satisfaction, plutôt de communiquer sur SNCF qui serait une entreprise moderne et qui tiendrait compte de l’avis des usagers. J’ai pu constater des reactions de passants dans ce sens.

    Une autre explication pourrait être lié au mécanisme de persuasion « social proof » (Robert B. Cialdini). Tiens ! La gare est bien entretenue, il y a tant de personnes qui le pensent.

    Mais une explication plus simple peut être que ces bornes ne soient que la matérialisation physique d’un petit outil digitale qui est apparu sur le site voyages SNCF en 2013 sous la forme d’un petit coeur vert. De mémoire, le mécanisme était similaire. Un bouton pour aimer et un formulaire si on a quelquechose a redire.

    Je travaillais à voyages SNCF à l’epoque.

    Merci encore pour l’article.

    Sam satie salman

  3. Ca donne juste l’illusion que la SNCF est à l’écoute de ses usagers et de leur mécontentement… c’est de la poudre aux yeux !
    Comme dit Geoffrey, un petit bout de scotch pour bloquer le bouton, ou coller un QR qui renvoie sur une petition, ca pourrait être drôle 🙂

  4. Pour les bornes sans QR code: ça permet aux gens mécontents de ne pas s’en prendre au personnel du guichet mais plutôt de se défouler sur la borne

    Pour les bornes avec QR code: c’est clair que le côté poudre aux yeux est énorme. Les statistiques récupérées sont ainsi biaisées à la source.

  5. Enfin un article sur le sujet, ça fait plaisir de voir qu’on n’est pas seuls ; -)
    Pour être tout à fait sincère, j’ai d’abord eu une réaction positive (« ha ben voilà la sncf s’enquiert de notre avis ») avant de voir que la possibilité de répondre « non » relevait du parcours du combattant…

Les commentaires sont clos.


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