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Conférence UX Paris

Quand le design découvre l’analyse de l’activité.

Hier, j’étais à la conférence UX Paris, « la recherche ethnographique au service du design UX ». Les deux intervenants nous ont présenté leurs travaux sur le terrain.

Raphaël Grignani nous a parlé notamment d’une étude qu’il avait réalisée en Inde auprès des utilisateurs de téléphones Nokia. Nicolas Nova a lui évoqué le travail qu’il avait fait autour des usages possibles d’un accéléromètre il y a quelques années en observant notamment des joueurs. Dans un deuxième temps, il a évoqué les usages « bizarres » nées des outils technologiques comme les smartphones ou les cartes NFC (Navigo).

Conférence UX Paris

Conférence UX Paris

Une autre conférence d’UX paris, au mois de septembre, de Virginia Cruz et Nicolas Gaudron, évoquait aussi en introduction les recherches « ethnographiques » faites dans le cadre d’un projet de design. Je mets des guillemets autour de « ethnographiques », car ils reconnaissent eux même que ce n’est pas réalisé dans les règles de l’art.

Dans tous les cas, les conférenciers « s’étonnent » de la richesse des informations recueillies sur le terrain. Ils constatent aussi des usages particuliers, non prévus initialement. Raphaël parlait de l’usage du téléphone comme lampe en cas de coupure de courant. Nicolas Gaudron évoquait le cas de résolution de problèmes clients durant les matchs de rugby, dans la tribune officielle, pour une banque.

Vers l’analyse de l’activité.

Je dois dire que Nicolas Gaudron a fait aussi l’ouverture de la conférence Ergoihm, avec une présentation similaire à celle d’UX Paris. Cela a soulevé quelques sourires discrets et bienveillants.

Oui, en ergonomie, allez voir les utilisateurs sur le terrain, c’est le B-A BA. Toute étude d’ergonomie menée dans de bonne condition commence par là. Ça s’appelle l’analyse de l’activité.

L’analyse de l’activité est une méthode fondamentale en ergonomie. Elle consiste à observer in situ des utilisateurs afin d’analyser, de modéliser et de comprendre les tâches qu’ils effectuent réellement dans leurs contextes.

Allez sur le terrain est toujours passionnant, parfois un peu rude quand c’est pour aller observer des militaires ou des garagistes au fond de la campagne. Il est possible quand on dispose de temps (et d’argent) d’aller assez loin dans la description de l’activité en la modélisant. C’est aussi toujours l’occasion de découvrir des usages détournés des outils : des catachrèses.

L’activité toujours !

Le « human factors engineering » au sens large utilise ces méthodes depuis au moins la seconde guerre mondiale. Don Norman parlait d’Human-Centered Design, il parle, depuis 2005, d’Activity-Centered Design.

To the Human-Centered Design community, the tool should be invisible, it should not get in the way. With Activity-Centered Design, the tool is the way.

Le HCD (Human-Centered Design) part du principe que si vous apprenez ou si vous connaissez l’activité, vous pourrez vous servir des outils, mais bien des cas c’est l’inverse que se passe. En apprenant l’outil, vous pouvez réaliser l’activité.

Un exemple, le monde de la photographie et le virage qui s’est fait vers le numérique. Les photographes étaient parfaitement qualifiés en argentique. Lors du passage au numérique, ils ont dû apprendre à se servir de Photoshop, à gérer les profils colorimétriques, à utiliser les logiciels de gestion de photothèques. C’est l’apprentissage de ces outils qui a créé de nouvelles tâches pour leur activité, pas le contraire.

Pour en revenir au design

Je ne suis pas expert en histoire du design industriel, mais il me semble qu’il vit actuellement une révolution un peu semblable à celle de l’ergonomie dans les années 1990. L’apparition des outils informatiques a scindé l’ergonomie en deux courants, les « vrais » qui ont continué à s’occuper d’ergonomie industrielle et de santé au travail, les « autres » qui ont fait de l’ergonomie des outils informatiques.

J’ai donc l’impression, qu’avec l’arrivé des interfaces dans de très nombreux objets de la vie quotidienne, le design subit un peu le même sort, ceux qui continuent le design « industriel » (je ne sais pas si c’est le bon terme) et les « autres » qui design des objets informatiques. Ces derniers découvrent avec une innocente naïveté les techniques utilisées depuis belle lurette dans les sciences s’intéressant aux facteurs humains.

Il faut voir aussi que concevoir un objet est relativement simple, il suffit de le concevoir dans l’espace. Concevoir une interface est un brin plus complexe car il faut la concevoir dans l’espace, dans le temps et dans l’interaction, l’activité.

Je sens qu’on va me jeter des pierres, si des designers passent par là.

Auteur :

Lead UX designer en Freelance depuis le dernier millénaire ! J'aide à concevoir des services, des applications en étant centré sur l'utilisateur et ses usages.

7 commentaires

  1. Bonjour Raphaël,

    Merci du billet car il a le mérite de soulever le débat. Notamment de disciplines qui évoluent en parallèle et sur des territoires ou dans des cultures différentes. La notion de « catachrèse » qui est décrite en ergonomie, n’est pas nécessairement utilisé comme telle en sociologie des usages (qui peuvent adopter une autre terminologie), ou par des designers produits.

    De mon côté, malgré une formation en IHM avec une bonne composante ergonomique (dont des cours d’ergonomie de l’activité et d’ergonomie logicielle), je n’utilise pas le terme « analyse de l’activité », notamment pour deux raison :
    1. Les techniques que j’emploie (et dont j’ai donné un ébauche mercredi) relèvent de l’ethnographie, notamment dans leur versant théorique (plus « grounded theory » que « activity theory »), pour l’analyse.
    2. Les clients avec lesquels j’ai travaillé (ou plutôt les départements des clients…) ne connaissent pas ou n’utilisent pas cette terminologie; leur demande se porte sur une étude ethnographique commanditée par leur département étude, voire marketing stratégique. Je le regrette un peu car certaine personnes que j’ai rencontré voient l’ergonomie uniquement en aval (comme mode d’évaluation). Sans parler du fait que les clients non-francophones que j’ai n’utilisent pas du tout ces termes là.

    Il y a donc une sorte de cheminement parallèle de plusieurs disciplines. Les remarques que tu fait ici sont intéressante, et j’ai déjà eu une question similaire dans un séminaire d’ergonomie flupa à Grenoble : « mais en quoi tout cela est-il différent de l’ergonomie de l’activité? », ce à quoi j’avais répondu qu’il s’agit de démarches très proches l’une de l’autre mais qu’il y a des nuances. Du point de vue collecte de données, il s’agit de choses similaires d’entretiens (avec/sans auto-confrontation), d’observation, etc. Par contre, du point de vue théorique et épistémologique, il y a des présupposés différent entre l’analyse de l’activité, l’ethnographie (et d’autres). J’avoue être plus à l’aise avec l’ethnographie sur ce plan là (et moins avec l’ergonomie cognitive alors que c’est ma formation originelle).

    Par contre, il ne me semble pas avoir fait l’ouverture de la conférence ergoIHM (j’ai fait une présentation proche à Limoges au WIF, peut-être s’agit-il plutôt de celle-ci qui devrait être mise en lien ?).

    • Oh oui, désolé, je me suis trompé entre les deux Nicolas dont je parle dans l’article. C’est Nicolas Gaudron qui a fait l’ouverture d’ErgoIHM. (c’est corrigé).

      Je te rejoins sur la terminologie, devant des clients je parle souvent d' »études in situ » plus que d’analyse de l’activité.

  2. Cela dit, ton billet est aussi intéressant sur un fait : je trouve dommage que certains designers ne connaissent pas la dimension « amont » de l’ergonomie avec l’analyse de l’activité, et ré-invente parfois la roue. Et ce, alors qu’il y a beaucoup a retirer d’une tradition française (ou francophone) dans ce domaine.

  3. Quelques remarques 😉

    Les photographes n’ont pas dû apprendre Photoshop ! Adobe a conçu Lightroom pour eux. La valeur maximum c’est 100% et plus 255. L’unité de réglage lumineux, c’est de diaph. etc. Ok, les photographes ont dû apprendre Ligntroom. Et leur activité a été bouleversée. Mais lorsque le patron du projet Lightroom a su qu’il fallait qu’ils quittent le stade de la recherche pour passer en production (Apple préparait un truc il fallait se bouger) qu’a-t-il fait ? Il a pris la route avec toute l’équipe (4 personnes à ce moment-là) pour aller faire le tour de ses potes photographes.

    Le design de matériel est très complexe ! On voit que tu ne travailles pas sur le sujet :p C’est juste que le design d’interface graphique est beaucoup plus complexe 😉

    Je distinguerais aujourd’hui les gens qui se présentent comme designers en deux grandes catégories. Les nobles qui ont fait une école de design industriel. Ils sont très affûtés sur le matériel. Ils sont bien formés sur la partie ergonomie physique. Mais ça flotte franchement pour la partie ergonomie cognitive. Ça coule plutôt. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec un senior comme Patrick Jouin, ils le reconnaissent volontiers.
    La « racaille » (du point de vue des nobles bien sûr) ce sont les designers (qui n’en sont pas d’après les nobles) qui viennent du Print et du Web. C’est la même chose car au départ, le WEB, c’est du Print électronique. Ces derniers sont tout perdus avec la vague applicative. Mais beaucoup ne le savent pas et font la leçon à des informaticiens bien plus compétente sur le versant applicatif.

    Pour finir sur l’analyse d’activité, une anecdote rapportée lors d’une petite conférence de Jacques Theureau par lui-même:
    — Maurice [De Montmollin] quand sait-on qu’une analyse de l’activité est terminée ?
    — Lorsqu’il n’y a plus de sous.

  4. Bonjour Raphaël,

    Je viens de découvrir l’article…. tardivement.
    Je suis cité plusieurs fois dans cet article, j’aimerais donc clarifier quelques points…

    Je suis effectivement designer de formation et non ergonome, il me paraît donc évident que je ne maîtrise pas les termes et le vocabulaire de votre métier. Je n’oppose d’ailleurs pas designer et ergonome, au contraire, j’essaie juste de faire passer le message, dans les conférences auxquelles on m’invite, qu’il est utile / indispensable de comprendre les gens / les usages / les contextes des personnes pour concevoir de meilleurs services, UX, UI, objets…

    La pluridisciplinarité des équipes est de mon point de vue, un facteur clé de réussite, je rends par la même occasion un hommage chaleureux à Bill Moggridge qui est un des pionniers (côté design) à avoir mis en place chez IDEO des équipes pluridisciplinaires (notamment en recrutant Jane Fulton Suri (human factors)).
    Néanmoins, une équipe pluridisciplinaire ne fonctionnera que si les gens qui la composent sont ouverts d’esprit et curieux. Caractères essentiels de mon point de vue. (ex. le profil « T-Shaped », la collaboration de John Lasseter avec l’équipe informatique chez Pixar, etc).

    Bref, concentrons-nous sur ce qui nous rassemble plutôt que sur ce qui nous divise pour ne garder à l’esprit qu’une chose : concevoir de meilleurs services pour les gens!! Et diffusons le message auprès de tous les corps de métiers pour que cette approche, centrée sur l’humain (même approximative) se généralise.

    • Voilà exactement pourquoi les designers ne sont pas considéré comme scientifique

  5. Merci pour le mot précieux: « catachrèse »
    Sinon assez sympathique et pas vraiment méchante cette anecdote sur les designers qui découvrent le design centré utilisateur 😉
    Design et Ergonomie les deux facettes d’un même miroir pour un produit.

    Encore un bien bel article.

Les commentaires sont clos.


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