Nous avons vu précédemment les usages et le matériel. Il est maintenant temps de faire le lien entre les deux et donc de parler des interfaces et du principal outil d’interaction : la télécommande. L’usage observé nous indique qu’il faut proposer des interfaces simples à utiliser. Les interfaces hiérarchiques (comme celle de l’iPod) sont les plus indiquées pour cela.
Il est à noter que la navigation dans des listes sera un élément clef de l’interaction. A commencer par la liste des chaînes, la liste des VOD, la liste des programmes, la liste des enregistrements, la liste des services… Il est alors nécessaire de se demander quel est le meilleur moyen d’interaction pour naviguer dans des listes.
Quel est le meilleur moyen d’interaction pour naviguer dans des listes ?
Cette question a fait l’objet d’une étude réalisée par Cédric Bertolus et publié lors de la conférence ERGOIA 2008 (PDF, p125). Je vais brièvement la présenter car il est intéressant de découvrir cette démarche ergonomique.
Le but de cette expérimentation était de mesurer un nouveau dispositif de navigation dans les listes, le bandeau tactile, par rapport à un dispositif de touches haut-bas et à une molette de type iPod.
L’expérimentation se déroulait de la manière suivante :
« 15 listes d’éléments d’un même genre (ex. liste d’acteurs, liste de fromages) étaient présentées successivement sur un écran de télévision. L’utilisateur devait sélectionner et valider le plus rapidement possible la cible qui lui était présentée préalablement. Les 6 premières listes, qui composaient ce que nous appellerons le scénario d’apprentissage, étaient utilisées pour la prise en main. Dans les listes suivantes, on faisait varier la position de la cible qui pouvait se trouver en début, milieu ou fin de liste en la croisant avec la taille de la liste qui pouvait être composée de 150, 300 ou 600 items. »
Trois groupes de 12 personnes passent tous les scénarios. Chaque groupe passe sur un seul dispositif, pour éviter une expérimentation trop longue et fatigante. Les déplacements sont enregistrés de manière automatique par le système. Trois mesures sont prises : le temps pour atteindre la cible, le nombre d’allers et retours et le nombre d’arrêt.
Même si le faible effectif ne permet pas d’avoir des résultats très marqués, on constate :
- L’utilisation du bandeau est plus rapide sur les listes longues.
- Les trois dispositifs ont une sensibilité fort différente face au nombre d’aller-retour. La télécommande avec les touches haut-bas est plus efficace, avec des moyennes plus basses. Mais les deux autres dispositifs ont des résultats bien moins performants qui témoignent d’un manque de précision. C’est relativement logique, les touches étant plus lentes, elles sont plus précises.
- Le nombre d’arrêt est plus important pour le bandeau.
En conclusion, si les touches haut-bas sont souvent utilisées pour une question de faible coût, une amélioration logicielle (un effet turbo progressif) permettrait, sans doute, de meilleures performances. La mollette montre une prise en main facile et des performances très correctes. Le bandeau tactile montre les meilleurs résultats pour les listes longues mais il est encore perfectible.
Retour ou menu ?
Si vous avez un iPod, vous avez sans doute remarqué que la touche « menu » permet de remonter dans la hiérarchie de l’interface. Mais dans ce cas pourquoi ne pas l’avoir appelé « retour » (« back » ou un pictogramme) tous simplement ? La réponse est évidente une fois qu’on la connaît. L’usage principal de l’iPod est d’écouter de la musique. La majorité du temps, c’est l’écran de lecture qui est affiché. A partir de là, l’utilisateur va donc chercher à afficher le « menu » (la hiérarchie) et pas à revenir en arrière vu qu’il n’en vient pas.
Sur la TV, on se trouve dans la même situation. C’est les chaînes de télévision qui sont affichées la majorité du temps. Il serait alors tentant d’utiliser le terme « menu » ? Oui, c’est pertinent si l’organisation de l’IHM positionne la télévision comme le premier des services dans l’arborescence et si on accède directement aux chaînes (Ça, c’est indispensable, bien sur ! ).
Si par contre, vous positionnez les chaînes de télévision à part, avec par exemple une touche permettant d’accéder aux services, l’utilisation de « retour » sera préférable.
Vous allez me dire « retour » ou « menu », c’est du détail. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que l’arborescence globale de l’interface à un impact sur la télécommande et vis versa.
Avec ou sans les « trick mode » (contrôles de la vidéo) ?
Les « trick mode » (enregistrement, lecture/pause, avance et retour rapide, chapitre suivant/précédent) sont généralement toujours présents sur les télécommandes. Mais est ce bien nécessaire de les conserver ? et si on les supprime, ça a quelles conséquences ?
Ces fonctions sont utiles, donc si on les supprime de la télécommande, il faut les mettre dans l’interface graphique. Les utilisateurs vont les chercher. Ils vont donc procéder par essais. Le nombre de touches étant alors réduit, l’utilisateur aura donc peu de choix et se dirigera vers la touche « ok ». Il verra donc les fonctions attendues mais il découvrira aussi les autres fonctions nouvelles.
La suppression des « trick mode » a donc deux avantages :
- Une télécommande proposant moins de choix, donc plus guidante.
- C’est une incitation forte à découvrir les interfaces graphiques.
L’inconvénient majeur, c’est les réactions apeurées et frileuses des divers chefs face à ce type de choix tranchés.
Les touches de couleurs.
Les touches de couleurs (rouge, jaune, verte et bleue) sont souvent présentes sur les télécommandes et donc elles sont aussi présentes sur les IHM. Malgré cela ces touches sont peu adaptées à l’usage de la télévision. Elles présentent plusieurs problèmes pour les utilisateurs, mais aussi elles imposent des contraintes lors de la conception.
Par rapport au contexte d’usage de la télévision, elles nécessitent un va-et-vient du regard entre l’écran et la télécommande, saccadant l’interaction. Elles posent aussi des difficultés pour :
- Regarder la télécommande à partir d’une attitude relâchée.
- Percevoir les couleurs (pièce sombre, 10% d’homme daltonien)
- Passer d’une vision de loin (la TV) à une vision de près (la télécommande), notamment pour les presbytes (à partir de 40 ans)
Elles posent aussi des difficultés lors de la conception :
- Les touches à l’écran doivent être disposées de la même manière que sur la télécommande et conserver cette disposition même si certaines ne sont pas utilisées.
- Les actions (ou rubrique) sont limitées à 4, une même action doit toujours être associée à la même touche, ce qui est impossible à mettre en œuvre sur l’ensemble des services.
Il n’est donc pas pertinent d’utiliser les touches de couleurs sur la télécommande et les IHM.
Les touches dédiées.
Les touches dédiées sont soit des raccourcis vers des services dédiés comme la VOD, le guide des programmes ou la TV, soit associés à des fonctions « transverses » : favoris, infos, zoom, ….
L’inconvénient majeur de ces touches est leur non-plasticité. Par exemple, une touche « favoris » ne sera pas utilisable sur la majorité des écrans mais elle sera toujours présente sur la télécommande. La même fonction, dans une interface graphique, ne sera présente que si nécessaire, sans perturber les autres écrans. De même pour des touches de raccourcis. Le service cible ne sera pas nécessairement aussi pérenne que la télécommande !
La multiplication des touches sur une télécommande entraîne un autre problème, celui du choix de la bonne touche au bon moment. Comme le précise la loi de Hick, le temps nécessaire pour prendre une décision est fonction du nombre de choix possible. Si trop de touches sont présentes, l’utilisateur mettra plus de temps à trouver à la bonne, qu’a navigué dans l’interface pour trouver la fonction ou le service souhaité.
Pour conclure.
Les conceptions de la télécommande et de l’IHM sont fortement imbriqués. Il est donc important de savoir ce que l’on veut faire en terme d’interface graphique avant de commander la production physique des télécommandes !
Source : Déplacement rapide et précis dans une interface en menus : une possibilité sur la TV, C. BERTOLUS (Orange Labs Issy-les-Moulineaux), p125. http://www.ergoia.estia.fr/documents/ACTES_ERGOIA2008.pdf
Source des photos : C. Bertolus, Orange Labs.