Je vais parler argent et vous dire comment ça se passe en tant que freelance sur une longue période. J’ai aussi quelques interrogations sur l’évolution de mes revenues.
Plusieurs personnes m’ont dit que le fait que je sois en freelance depuis de nombreuses années les ont encouragé à se mettre à leurs comptes. En fait je ne sais jamais trop quoi répondre dans ces cas-là alors je vais faire un petit topo sur 16 ans d’activité.
Je pense que mes réflexions rejoignent celle d’Hélène Schapira et de sa présentation à SudWeb « Parce que vous le valez bien« .
Parlons chiffres.
Et hop un petit graphique qui présente :
- Mon CA ; Chiffre d’affaires, c’est ce que je facture et qui m’est payé.
- Mon bénéfice ; C’est le CA moins les charges et les cotisations
- Les charges ; C’est ce que je dépense pour réaliser mon travail : frais de déplacement, matériel informatique, logiciels, etc.… Ces frais sont relativement fixes et prévisibles.
- Les cotisations sociales sont calculées sur la base du bénéfice (ou presque, je passe les détails sur la CSG déductible ou non) de l’année n-2 pour l’année en cours, régularisable en fonction de l’année n-1 dès qu’on la déclare. Tu n’as pas compris ? C’est normal.
- Les moyennes glissantes sur 4 ans afin de lisser les effets yoyos (voir ci-dessous).
- Tous les chiffres sont en euros hors taxe, donc sans la TVA qui est de 20 %, mais que je reverse tous les 3 mois. En fait la TVA est transparente pour les entreprises, ça rentre et ça sort !
- Mon tarif journalier varie sur la période de 600 € à 1 000 € HT avec une moyenne à 700 ou 750. Donc quand je fais 70 000 € de CA, j’ai facturé 100 jours en gros et j’en ai travaillé 150 au minimum.
Alors que voit-on sur ce graphique ?
La première chose à retenir c’est le décalage dans le paiement des cotisations sociales qui entraîne un effet de yoyo, notamment si vous n’avez pas un chiffre d’affaires très régulier d’une année sur l’autre. Par exemple en 2008, j’ai fait une bonne année, puis deux années de baisses consécutives (2009, 2010) amplifié par le fait que je payais des cotisations en fonction du CA de 115 K€ de 2008, donc environ 40 K€, à l’inverse en 2011 et 2012, je me trouve à payer peu de cotisations, voir pas du tout car j’ai trop payé les années précédentes pour un CA en baisse. Il faut noter aussi 2003 qui est ma 3éme année (début en octobre 2000) je paye en gros toutes mes charges de 2001 et 2002. Ça peut surprendre, dans mon souvenir j’ai dû payer près 40 K€ sur le dernier trimestre. Par contre sur les dernières années mon chiffre d’affaires s’est stabilisé et donc les charges sont plus lissées.
[màj] Je suis en Entreprise Individuelle EI et en EIRL depuis 2014. Cette forme d’entreprise ne permet pas de lisser le CA en faisant des provisions (prévoir de l’argent pour des dépenses ultérieures) ce qui pourrait être fait en SASU par exemple.
Ça se traduit aussi par les chiffres suivant :
Chiffre d’affaires | Bénéfices | |
---|---|---|
Moyenne | 78 500 € | 51 600 € |
Écart-type | 24 100 € | 28 200 € |
La variabilité (écart-type) du bénéfice est plus importante que celle du CA, malgré une moyenne plus basse.
Sur l’évolution du chiffre d’affaires.
Il faut noter les 3 années avec un chiffre d’affaires supérieur à 110 000 €. ce sont des années ou j’ai eu des missions longues de 6 mois ou plus à plein temps et un reste d’année bien rempli. C’était donc généralement des missions en régie chez le client, en l’occurrence Orange/France Telecom. En début de carrière, je gagnais donc bien plus que mes collègues salariés.
Deux grandes périodes sont observables sur ce schéma, la période 2000 – 2009 avec un CA annuel de 90 000 € environ pour un bénéfice de 60 000 € et la période actuelle 2010-2017 avec un CA de 65 000 € pour un bénéfice de 45 000 €.
Mon chiffre d’affaires a été longtemps fait presque exclusivement auprès des diverses filiales d’Orange. Dans un premier temps je contractualisais directement avec Orange, puis le contrôle de gestion est passé par là, pour finalement passer systématiquement par Freelance.com. Depuis 2009 la part d’Orange dans mon chiffre d’affaires à diminuer fortement pour être proche de 20 à 30 % maximum. J’ai donc diversifié mes clients fortement. Ce changement ne s’est pas fait du jour au lendemain et c’est aussi une certaine volonté de ma part. À partir de 2007, je me suis formé au marketing et de-là j’ai mis en place une stratégie basée sur la notoriété avec l’écriture de ce blog et la participation à des conférences.
Mais alors pourquoi mon CA baisse alors que je mets en place une stratégie de communication, que mon expérience augmente et que je gagne en notoriété ? C’est une bonne question.
Pourquoi mon CA diminue malgré mon expérience ?
C’est une question à laquelle je n’ai pas forcément de réponses. Je lisais ce sujet le Forum Kob-one, il concerne plus des graphistes mais certains témoignages rejoignent mon expérience, avec une phase très haute pendant certaines années en début de carrière, puis une phase de baisse qui se stabilise plus ou moins.
Il faut s’avoir que quoique vous fassiez votre clientèle va connaître une certaine érosion qui normalement est remplacée par de nouveaux clients. Le problème, c’est le normalement. Rien ne se passe normalement parce qu’il y a des événements incontrôlables. Un exemple simple, j’ai un début d’année très calme (8 000 € de facturer contre 20 000 € « normalement ») car des projets en vue ont été repoussés encore et encore dans l’attente du résultat des élections. Ou encore entre 2008 et 2010, ma clientèle a profondément changé.
Il faut aussi prendre en compte que je fais moins de tâches d’exécution, mais plus du lead, de l’accompagnement d’équipes, de la formation, donc les tâches que l’on me propose et que j’accepte de faire ont évolué. De même quand j’ai commencé, je faisais des applications métiers (en dur) et du web. Aujourd’hui, il faut faire du web responsive, des apps, des applications, des objets connectés, de la TV, des services, de la co-conception etc.… Le tout avec des outils qui évoluent pour certains rapidement. Par contre la part de recherche utilisateur dans mon activité à fortement augmentée. Avant de 2009, je faisais régulièrement des missions sans voir les utilisateurs, aujourd’hui je ne fais pas de missions sans voir les utilisateurs. C’est une condition préalable à mon travail.
À côté le marché de l’UX a fortement évolué attirant de nombreuses personnes plus ou moins qualifiées, par contre le management et les entreprises n’ont guère évolué. Employer un freelance pour son expertise et non pour sous-traiter des tâches ingrates, n’est pas vraiment dans les mœurs et l’idée de travailler à distance en rebute plus d’un.
Ce qui m’amène aussi au point suivant. J’ai déménagé loin de Paris et de toute manière je ne souhaitais plus faire de missions en régie. Très sincèrement, si j’acceptai encore ces conditions, il est probable que je serai pas loin de doubler mon CA et de me préparer un joli burn-out. Ma dernière expérience en régie, c’est conclu par une jolie fuite après 5 mois, j’en garde un souvenir mitigé. Ça rejoint ma remarque précédente, peu d’entreprises savent réellement travailler avec des freelances, comme elles ne savent pas travailler à distance.
À l’avenir,
Et à l’avenir, que faire ? C’est une question qui revient régulièrement en tant que freelance. Quelle stratégie appliquer à l’avenir ? Avec comme sous entendu est ce que je vais continuer à avoir du travail, maintenir mon chiffre d’affaires, l’améliorer ? Sans y perdre la santé et l’envie d’explorer ? Les pistes que j’explore actuellement vont dans le sens de travailler moins pour travailler mieux.
C’est plus précisément :
- Donner des formations en entreprise qui sont bien rémunérées, mais ça demande remplir un certain formalisme et beaucoup de paperasses.
- Travailler localement, sur l’Aquitaine et le pays basque.
- Aborder de nouveaux sujets autour du design de service, de l’organisation du travail, du bien être au travail, du facteur humain.
L’idée est de moins travailler, pour vivre mieux.
Merci Raphaël pour ce billet riche d’enseignements !
Il arrive au point nommé où je me demande si le salariat est vraiment fait pour moi et où j’hésite à me lancer en freelance… A l’occasion, je serais ravie d’échanger avec toi lorsque tu monteras à Bordeaux 🙂
Céline
Bonjour
Raphaël, merci bien pour ce partage (relativement rare en France. ). Je suis freelance depuis 5 à 6 ans maintenant. L’objectif était similaire au tien, travailler mieux, impacter les choses qui comptent.
J’ai eu un raisonnement analogue. Après avoir essayé plusieurs types d’offres et de services, j’arrive à la conclusion suivante, un des meilleurs scenarios serait d’être payé en fonction de l’impact que nous avons apporté au business du client.
C’est un risque et rares sont les clients qui acceptent cette méthode.mais je pense qu’elle a plusieurs avantages notamment, elle permet de distinguer entre ux qui se soucie de la recherche, de l’expérience globale et l’ab testing Vs Les gens qui ne font que l’UI.
Et je suis déjà passé par des phases régie avec des propositions de missions longues chez Axa ou orange. Si c’est bien d’avoir les moyens, ça m’embête de ne pas pouvoir mesurer le retour sur investissement pour mes clients ( même si ce n’était pas une contrainte pour eux).
Je préfère largement m’investir avec un client pour atteindre un objectif précis ( de façon itérative ou lean) , et je trouve normal d’être rémunéré à la hauteur de mon apport. Au delà d’un tjm ( qui peut freiner lui certains clients plus petits).
Merci encore pour ce partage.
Encore un super article, merci pour ce partage Raphaël.
Bonjour Raphaël,
Merci pour cet article. J’aurais aimé savoir comment as-tu fais pour démarcher tes premiers clients ?
Je te remercie
Bonjour, Je ne l’ai pas démarché. Je les ai eu par des contacts au sein de l’entreprise pour laquelle je travaillais avant. En fait j’ai jamais fait ou très peu de démarchage. Ça se limite, au maximum à envoyer les vœux de bonne année !
Merci Raphaël pour ta transparence.
J’avoue pour ma part que je n’imaginais que les charges auraient représenté un tel poids.
J’ai pour ma part peur que certains secteurs (UX, analytics, optimisation de la conversion…) connaissent d’abord une période de buzz (avec une forte demande et une faible offre), puis une phase de banalisation où la demande reste fréquente, mais le nombre de nouveaux « experts » explose.