Voilà, ça fait 6 mois, depuis le début du confinement en fait. Oui 6 mois que je travaille pour beta.gouv.fr et dans l’environnement des startups d’états.
Il y a un peu plus de 6 mois, je travaillais pour une des startups du ministère de Transition écologique quand j’ai eu l’occasion de postuler pour l’équipe des designers transverses de beta.gouv.fr. L’occasion faisait le larron, un passage sur Paris au MTE m’a permis de rencontrer Amandine pour un entretien juste avant le confinement. La réponse positive est arrivée rapidement et a coïncidé avec le début du confinement.
L’équipe et beta.gouv.fr
Alors déjà c’est quoi beta.gouv.fr ? C’est des incubateurs qui ont pour objectif d’améliorer les services rendus aux citoyens, aux entreprises ou aux collectivités sur des sujets ayant un périmètre bien défini. L’idée étant de montrer qu’il est possible de mener ces projets, avec un budget et un délai raisonnable, en dehors des lourds processus que l’on rencontre trop souvent dans l’administration et d’aboutir à un résultat significatif. Mais beta.gouv.fr reste une presque-ile au milieu de l’administration et d’autres projets centrés sur le design.
Donc au sein de beta.gouv.fr, chaque startup est autonome sur son sujet et son budget. Initialement, beta.gouv.fr avait une culture très orientée développement et agile. Avec le temps, l’arrivé de coachs et de designers, la culture du design centré utilisateur à commencé à infuser, mais il reste encore beaucoup à faire.
D’où le recrutement et la mise en place d’une équipe de designer transverse qui vont justement avoir pour mission d’aider les startups et de faire progresser globalement le niveau du design au sein de Beta.gouv.fr
Comment est construite l’équipe ?
L’équipe est composée de 6 designers, à mi-temps, avec des compétences complémentaires. Mais complémentaires comment ? En fait pour cela, Amandine s’est appuyée sur le modèle de compétence en T que j’ai déjà expliquée. Et donc ça donne l’équipe suivante :
- Amandine Audras
- Aurélie Jallut
- Anne-Sophie Tranchet
- Marina Wiesel
- Jérémie Cook
- Et moi
Par exemple, Anne-Sophie a un passé de développeuse, notamment sur du front à un donc un très bon niveau sur ces aspects et sur l’accessibilité. Aurélie a une forte expérience en design, en communication et direction artistique. Donc sur un projet, nous allons être capables d’apporter une expertise forte pour l’ensemble des phases de conception de l’expérience utilisateur. Si nous cumulons toutes nos compétences, ça donne ça :
Qu’est-ce que nous faisons ?
C’est là que ça devient intéressant. Dans une mission classique, le contrat que vous signez stipule assez clairement ce que vous devez faire, souvent avec déjà un découpage et des jours attribués. Sauf que là ce n’est pas le cas ou plus précisément nous avions des pistes, mais nous ne savions pas comment nous allions faire précisément.
Donc initialement nous avions plusieurs axes :
- Aider les startups d’état
- Animer la communauté et faire de monter globalement le niveau en design
- Faire en sorte que les équipes se débrouillent sans nous (et embauchent des UX designer)
Ces axes ne sont pas sortis du chapeau au petit bonheur la chance, mais nous avons essayé de comprendre les besoins de la communauté pour y répondre au mieux en faisant ce que l’on sait faire : interviewer nos utilisateurs.
C’est bien joli, ça, mais concrètement ça donne quoi ? Je vais essayer d’organiser cela en fonction des 3 axes.
Aider les startups d’état
Le premier point c’est qu’ « On n’inflige pas de l’aide », mais simplement nous pouvons répondre à une demande d’une startup. Ce n’est pas trop compliqué, car en fait elles sont nombreuses et à divers stades d’avancement. Certaines ont des difficultés simples à résoudre et d’autres ont besoin d’un accompagnement de fond. Le besoin en Design est important.
Un exemple simple d’intervention sur un temps court de l’ordre de quelques semaines c’est :
- Un audit de l’existant avec l’identification de points d’amélioration de l’utilisabilité
- La création de maquettes corrigées
- Le test auprès d’utilisateurs en mode guérilla suivi des corrections pour la mise en production.
Un exemple d’intervention longue sur plusieurs mois.
- La mise en place d’un outil comme Miro ou mural pour avoir un espace de conception et de partage.
- Une phase d’audit qui va permettre de comprendre l’existant et de commencer à aborder les processus métiers complexes.
- La prise en compte de ces processus métiers et souvent une première phase de rencontres avec les utilisateurs que ce soit sous la forme d’entretiens ou d’ateliers.
- Un travail de formalisation de ces informations avec la création de personas, d’expérience map, ou de simple schéma expliquant le déroulement des étapes.
- Une phase de conception et d’échange avec l’équipe de la startup, qui va conduire à des changements majeurs de l’interface avec par exemple une meilleure intégration du responsive.
- Un tour de validation auprès des utilisateurs.
- Et ainsi de suite…
Comme on est aussi une équipe avec des compétences larges, on peut aussi aider sur des aspects comme la communication auprès des prescripteurs du service ou sur un élément ponctuel comme la page d’accueil présentant le service.
Quelques illustrations sur le service Trackdéchets qui permet la numérisation des bordereaux de suivi des déchets dangereux.
Déjà l’état du Miro après 3 mois de travail… Quoi ce n’est pas rangé ? Oui, mais c’est utile comme ça !
Des idées, vraiment à l’état d’idées
De la formalisation autour des personas, on passe d’un modèle centré type d’entreprise à un modèle centré utilisateurs.
Une maquette rapide d’un processus de récupération des déchets avec les personas, les étapes, les écrans principaux.
Ça n’empêche pas l’utilisation d’outils classiques comme un Trello ou un document de synthèse.
Animer la communauté, faire monter en compétence
Animer une communauté en plein confinement, avec tout le monde en télétravail et l’essentiel des personnes qu’on a jamais vu, ça commence bien comme mission.
Café design
Malgré cela, il y avait quand même une base avec un certain nombre de rituels déjà en place et donc on a pu s’appuyer dessus pour proposer des cafés design. L’idée de ces cafés design est de proposer un moment régulier qui permet d’échanger sur des sujets UX avec les designers, mais aussi avec toutes les personnes qui le souhaitent.
Au début, on est donc parti sur un rythme hebdomadaire de café sur les sujets qui étaient les plus demandés dans la communauté :
- Comment mener des entretiens ?
- Le rôle et les compétences des designers
- Accessibilité
- API
- Mesurer l’UX
Ça a relativement bien marché le premier mois, mais le deuxième vers mai on a senti un ralentissement. Finalement en juin, nous avons espacé les cafés design, car du côté équipe, nous avions du mal à trouver des sujets pertinents et vendeurs toutes les semaines. Et de l’autre même si le télétravail est quelque chose d’acquis à beta.gouv.fr, je pense que, comme moi, de nombreuses personnes ressentaient une lassitude à rester de long moment en réunion, en visioconférence toute la journée. Alors nous avons laissé passer la fin juin et les vacances sans café design et nous avons repris récemment à un rythme aléatoire.
Formation
L’idée de faire des formations était présente dès le début. Personnellement, je préfère faire les formations en étant dans la même salle, mais là c’était loupé. Pour la peine, je me suis lancé sur un autre format que je n’avais jamais fait celui de la vidéo. C’est encore simple et j’ai encore une grosse marge d’amélioration du processus et de la qualité globale. Mais déjà ça m’a pris un certain temps de trouver comment faire simplement et correctement des vidéos avec une présentation, ma voie et les sous-titres et de publier le tout. En fait, Keynote permet de faire l’enregistrement de base. Pour les sous-titres, il faut passer par un logiciel de reconnaissance automatique de la parole (Trint ou Authôt) qui va proposer une première version à corriger et surtout permettre d’exporter les sous-titres synchronisés avec la vidéo.
Ces formations en vidéo sont encore très théoriques et magistrales, car je vois mal pour l’instant comment faire autrement, mais il faut sans doute que je fasse évoluer le format, vers quelque chose de plus vivant et didactique. D’un autre côté, je n’ai pas envie de faire de vidéos d’explication d’un logiciel par exemple.
Faire en sorte que les équipes se débrouillent sans nous
C’est un autre point important, mais le but ultime c’est quand même que les équipes des startups d’état se passent de nous. Oui, c’est un peu paradoxal, mais contrairement à une société commerciale notre but n’est pas de rendre le client dépendant, mais bien de l’émanciper. Cela va passer par deux outils :
- Documenter
- Faciliter le recrutement
Documenter
Rien de révolutionnaire là, mais la documentation concernant le design était assez pauvre au sein de beta.gouv.fr fautes de temps. Donc on a pris le temps de la construire et d’avancer dessus pas à pas. Ce n’est pas encore très complet, mais on commence à avoir une base solide. J’y ai bien sûr mis les formations que j’ai faites ainsi que les documents liés. Les autres membres de l’équipe ont contribué sur les sujets dont ils sont experts, par exemple Anne-Sophie a réalisé du contenu sur l’accessibilité et la déclaration qui va avec.
On avance lentement mais surement.
Faciliter le recrutement
Une fois qu’on a mis le pied à l’étrier des startups, elles ont souvent envie de continuer à travailler avec une ou un designer. Mais les équipes des startups ont parfois du mal à formuler correctement leurs besoins en termes de design alors une aide à la rédaction de l’offre (Modèle en T forever), une diffusion sur nos réseaux ou à la passation des entretiens peuvent faciliter les choses.
C’est quoi la vie d’un designer transverse en télétravail
Bon tout ça c’était les aspects un peu factuels du travail à beta.gouv.fr, maintenant je vais vous parler d’autres aspects beaucoup plus drôles … ou pas.
Un aspect surprenant du travail avec beta.gouv.fr, c’est que tu travailles pour l’administration et celle-ci est en mesure de publier des décrets. Et ça, c’est magique. Je m’explique, par exemple je travaille donc sur Trackdéchets qui a pour objectif de numériser l’ensemble des bordereaux de suivis des déchets dangereux (Je rappelle pour ceux qui ont sauté un paragraphe). Jusqu’à maintenant tout cela était sous forme papier, freinant les contrôles et ne permettant pas d’alerter sur certaines fraudes.
Un type de fraude, c’est une entreprise qui ouvre un lieu de collecte de déchets dangereux pour 10 000 tonnes. Normalement elle doit, par exemple, trier puis renvoyer vers des exutoires qui recycleront, stockeront ou détruiront les déchets. Sauf que renvoyer vers les autres, ça à un prix. Donc l’entreprise collecte au-delà de son autorisation de 10 000 tonnes, on passe à 50 000 tonnes. Là, le gérant de l’entreprise se barre avec le pactole de l’argent des déchets entrants. L’entreprise est liquidée. L’état doit faire nettoyer le site de collecte, ça coûte plusieurs millions d’euros (au minimum l’équivalent à l’argent du pactole).
Une fois numérisé, il ne sera guère difficile de détecter les fraudes et de vérifier de manière plus ou moins automatique les entrées et les sorties sur un site. Donc qu’est en train de faire l’administration ? Tout simplement, elle modifie le décret d’application de la loi sur les déchets et donc elle impose que d’ici deux ans maximum tous les bordereaux soient numériques et passent par Trackdéchets. Et hop, là c’est magique, ton public est captif. Il n’a pas d’autres choix que d’utiliser ton service, soit en direct, soit à travers l’API mise à disposition. C’est le deuxième projet auquel je participe pour lequel un décret est modifié afin de faire correspondre la législation au service.
Dans les moins drôles, il y a les histoires de budgets. Chaque startup a son budget propre pour son fonctionnement et elle le gère comme elle le souhaite. À intervalle régulier, elle doit rendre des comptes pour être refinancée : par exemple atteindre les objectifs qu’elles avaient fixés précédemment ou expliquer pourquoi elle ne les a pas atteint (pivot, covid, … ). Ça marche bien pour les startups, sauf que nous designers transverses, nous ne sommes pas une startup. Ça deux conséquences :
- Nous devons faire valider régulièrement, tous les 3 mois, le budget correspondant à nos prestations et refaire le processus de contractualisation.
- Nous ne pouvons pas mettre en place des outils transverses sur un budget design. Si nous voulons un Miro, un Mural, un Notion, ou une plateforme de test comme Testapic ou OptimalWorkshop, il faut une startup pour payer ou compter cela dans nos frais.
Ça a pour effet de ralentir certaines prestations que nous souhaiterions proposer sous forme de « pack de démarrage » par exemple « un audit + test U + tri de cartes ». Le renouvellement récurrent de notre budget crée une incertitude régulière, pas signé, négocié …, signé … nous freinant dans le lancement de certaines actions à long terme. Surtout que le contrat passe, bien sûr, par un intermédiaire en l’occurrence un gros cabinet de conseil et le processus est complètement opaque pour nous petits prestataires en bout de chaine alimentaire.
D’un autre côté, je ne vais pas vous mentir, mais un tel contrat en pleine crise du Covid est une aubaine. Ça me permet d’avoir une visibilité financière assez stable, mais aussi ce qui me manquait depuis quelque temps, de travailler en équipe et d’échanger entre pairs avec d’autres designers. C’est un peu le meilleur des mondes : une équipe en freelance, sans chef, avec des projets qui ont un impact.
Faire équipe à distance, sans jamais se voir en vrai, c’est sans doute le point le plus critique et ce qui nous a le plus manqué. En 6 mois, nous ne nous sommes jamais retrouvés ensemble au même endroit. La mission a commencé pour moi pile au début du confinement, mi-mars. Seulement début juin, j’ai pu aller sur Paris, voir les locaux à Ségur, rencontrer Jérémie que je n’avais jamais vu, revoir Amandine et Aurélie. Si je connais Anne-Sophie d’avant, de la petite sphère Paris-web/UX, je n’ai toujours pas rencontré Marina. Alors on a passé du temps en visio, mais ça ne permet pas de prendre des bières et de refaire le monde. En 2 heures début juin au bar, j’en ai plus appris qu’en 3 mois à distance. Un peu comme si tout l’informel avait besoin de sortir dans ce moment-là. Nous nous sommes revus presque tous, à 5, début octobre et oui c’est encore un moment qui fait du bien !
« On n’inflige pas de l’aide »
Je pense que ça reste la phrase la plus symbolique j’ai entendu chez beta.gouv.fr et ça impact toute la stratégie à mettre œuvre pour faire faire du design. Cela nous oblige à avoir une action basée sur la notoriété et l’envie. Ça aussi l’avantage que ceux qui viennent nous voir aient réellement envie de travailler avec nous et ne viennent pas à reculons !
Merci pour ce retour d’expérience très instructif et qui donne envie d’en savoir encore plus, voire de s’impliquer dans une telle aventure.
Pour le recrutement il reste beaucoup de progrès à faire.
Chaque startup fait son recrutement ce qui laisse entendre une perte de temps. Pourquoi ne pas créer un vivier, bref mettre en commun de potentiels futurs collaborateurs
Les annonces sont souvent pourvues dès leur parution…perturbants pour les personnes qui répondent aux offres
Les entretiens ne semblent pas tjrs suivis de réponse !!!
Effectivement chaque startup recrute sur son budget. Un des objectifs aussi de un fluidifier le processus de recrutement. Le vivier existe mais il n’est pas suffisant, le nombre de designer est passé de 10 à 40 en un an. Et oui les recrutements se font généralement rapidement sur 2 semaines.