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Probabilité et psychologie sociale

Attention, je vous invite à lire l’ensemble de l’article avant de réagir et de sur-réagir !

Je vous propose un sujet un peu en dehors du cadre de l’expérience utilisateur pure et dure sur un domaine tout aussi intéressant qui est la perception des comportements.

À l’origine de cet article, il y a plusieurs interventions sur internet et sur twitter qui m’ont interpellé et qui avec un peu de recul rentre dans le même cadre théorique de la psychologie sociale et des probabilités. Ces situations se caractérisent par un exogroupe (Des personnes ne faisant pas parti du groupe) qui porte un jugement sur le comportement d’un endogroupe (Groupe d’individus partageant une même caractéristique). Il faut savoir que constitué des groupes, avec leurs comportements, est très facile. Il suffit, par exemple, de faire passer un questionnaire, de jeter les résultats et de répartir aléatoirement les gens dans les groupes et hop vous avez des groupes qui se comportent comme tels !

Les sujets en question portent sur l’actualité ou des sujets de sociétés. Le but n’est pas de porter un jugement sur les personnes ayant émis ces réflexions mais de comprendre les mécanismes qui conduisent à ces réflexions et aux réactions à celles-ci. Oui, c’est en deux temps, voir trois ou quatre.

La première concerne les violences sexuelles faites aux femmes :

« C’est pourquoi toutes les filles sont obligées de considérer leurs interactions avec des hommes comme un potentiel violeur, oui. »

et cite ces données http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques-79

« Imaginez que 10 % (ou 20 % suivant les citations) des M&M’s sont empoisonnés. Allez-y, mangez une bonne poignée, tous les M&M’s ne sont pas empoisonnés ! »

Issue d’une campagne contre les violences sexuelles faites aux femmes comparant les M&M’s et les hommes.

Il y a aussi les nombreuses déclinaisons autour du terrorisme, avec l’assimilation Fiché S/Terroriste ou Musulmans/Terroriste et que Laurel a illustrée sur blog

On observe aussi variante plus légère autour du jeux Pokemon Go et député qui voudrait légiférer, ce qui rappelle ce qui se passait avec à la sortie de Word Of Warcraft ou avec les jeux de rôles dans les années 1980–90. Oui, il y avait des lobbies qui voulaient interdire les jeux de rôles aux États-Unis sous prétexte que des joueurs avaient commis des crimes.

La problématique est donc comment passe-t-on d’une probabilité à une généralisation au groupe ? Je vais donc vous parler de probabilité et des phénomènes de psychologies sociales.

Un peu de probabilité

On va commencer simplement par cette affirmation-là

« Imaginez que 10 % (ou 20 % suivant les citations) des M&M’s sont empoisonnés. »

pour essayer de calculer la probabilité de survivre en mangeant 9 m&M’s

Vous en mangez un premier vous avez 9 chances sur 10 d’en sortir vivant. Il n’y en plus que 9 dans le paquet et donc 8 chances sur 9, puis 7 sur 8, jusqu’au dernier.

(9/10) x (8/9) … (1/2) = 0,1

Donc vous avez 10 % de chance de survivre en mangeant 9 M&M’s. Au dixième bien sûr, vos chances tombent à 0 %. Vous pourriez faire l’inverse en choisissant un M&M’s, dire qu’il est empoisonné et avaler les 9 autres d’un coup.

Sauf que la vie n’est pas un paquet de M&M’s ni une boîte de chocolats. Si une interaction sur dix entre un homme et une femme se terminait par un viol toutes les femmes sans exceptions auraient été violé et plusieurs fois (par jour).

Pour la suite, je définis « une interaction » comme la présence dans un même lieu d’un homme et d’une femme sans possibilité d’ignorer la présence de l’autre.

Alors reprenons les données statistiques disponibles ici :

http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques-79

  • 16 % des femmes déclarent avoir subi des viols ou des tentatives de viols au cours de leur vie.
  • 1 jeune femme sur 10 de moins de 20 ans déclare avoir été agressée sexuellement au cours de sa vie.

C’est sans doute à partir de là qu’une analogie avec les M&M’s est établie, mais il y a confusion entre la probabilité pour Une tentative/interaction et le résultat après N tentatives/interactions (N étant le nombre d’interaction durant la vie).

  • Entre 2010 et 2012, 83 000 femmes sont victimes de viols ou tentatives de viols par an.
  • En 2011, 3 742 viols ont été commis (et condamné) à l’encontre de femmes.

Il y a des définitions précises du viol, de l’agression sexuelle et donc des statiques qui se basent sur définitions en prenant en compte celle déclarées ou non, condamnés ou non.

En prenant en compte que la population en France soit 34 000 000 femmes

  • La probabilité qu’une femme soit victime de viols ou de tentatives de viols par an serait de 1/400. (Soit sur une vie de 80 ans, 80/400 ou 20 %, on retombe sur un chiffre proche des 16 % du début.)

Sauf que même en écrivant ça, et en essayant de revenir au M&M’s ce n’est toujours pas 1 M&M’s sur 400 qui serait empoisonné. En fait pour être le plus précis possible en termes de probabilité, il faut prendre en compte toutes les interactions qu’a une femme dans une année/une vie pour calculer la probabilité qu’une interaction finisse en agression, sans parler qu’une femme peut être agressée plusieurs fois et qu’un homme peut agresser plusieurs femmes.

On peut faire l’analogie avec la sécurité routière, il faudrait prendre en compte toutes les fois où vous croisez une voiture pour évaluer la probabilité d’avoir un accident ou non et d’être blessé ou tué. En pratique c’est impossible. L’analogie avec la sécurité routière est assez bonne car les risques sont assez semblables : 3 461 morts/an et 70 802 blessés/an.

Il faut retenir qu’établir une probabilité valide où simplement significative (Ex : ça arrive 1/x fois) est quasi impossible. La vie réelle présente trop de facteurs pour qu’ils puissent tous êtres pris en compte pour prédire un moment précis. On reste donc sur des statistiques globales qui présentent le nombre d’occurrences pour une population donnée sur une durée, mais rien d’un point de vue individuel.

Premier et deuxième effets pas cool.

Le premier effet observé de la difficulté à établir ces probabilités est que l’on a des approximations et des généralisations. Je vous propose une petite expérimentation, attention ça pique :

Cas A — Une femme dit « C’est pourquoi toutes les filles sont obligées de considérer leurs interactions avec des hommes comme un potentiel violeur, oui. »

ou dans le cadre de la sécurité routière

Cas B — Un homme dit « Femme au volant, mort au tournant »

Le deuxième effet vous venez sans doute de le vivre en lisant ces deux affirmations.

  • Soit vous êtes un homme et vous vous êtes sans doute offusqué du cas A « Non, moi jamais, c’est faux » et vous avez compati, voir acquiescé au cas B.
  • Soit vous êtes une femme et vous vous êtes sans doute offusquée du cas B « Non, moi jamais, c’est faux » et vous avez compati , voir acquiescé au cas A.

Je n’ai pas choisi ces phrases au hasard, et la construction est la même dans les deux cas. Une personne de l’exogroupe généralise au groupe un comportement minoritaire de l’endogroupe. Et vous faites partie de l’un des deux groupes.

Explications et psychologie sociale

Maintenant essayons de comprendre ce qui se passe dans ces différents cas. Pour cela, on va s’appuyer sur quelques mécanismes mis en évidence par la psychologie sociale. Il faut savoir que ces études ont initié après guerre pour comprendre les mécanismes qui ont pu mener à la montée du nazisme. Depuis, elles ont été affinées, confirmées, expliquées. Vous trouverez plus détails et les sources sur ce site.

Je vais vous expliquer quatre de ces mécanismes à l’œuvre dans les exemples vu ci-dessus.

  • L’erreur fondamentale d’attribution
  • Corrélation illusoire
  • « Brebis galeuse »
  • Prophétie auto-réalisatrice

L’erreur fondamentale d’attribution

Déjà une attribution causale est le processus qui amène un individu à expliquer un événement, une action pour lui-même ou pour les autres. Par exemple, si vous perdez un match de foot, vous pouvez à l’attribut à vous même (interne) « On est mal entraîné », ou à un facteur externe « l’équipe adverse est bien meilleure »

On a donc :

  • l’endogroupe auquel on appartient et l’exogroupe (L’équipe adverse, le reste du monde)
  • des causes externes ou internes.

L’erreur fondamentale d’attribution est donc la suivante :

  • Chez les membres de l’exogroupe, un comportement positif sera attribué à des causes externes et un comportement négatif, à des causes internes.
  • Chez les membres de l’endogroupe, l’inverse.

En reprenant l’exemple du match : Si on gagne c’est parce qu’on est bon, si on perd c’est parce que l’arbitre est vendu.

Ce phénomène est renforcé si :

  • Il y a un conflit intergroupe de longue durée (conflit historique). Ex : PSG/OM
  • L’appartenance groupale est visible. Ex : Bleu foncé / Bleu clair à rayure
  • Il y a des forts préjugés vis-à-vis de l’exogroupe.

Les conséquences sont :

  • Maintien de l’image positive de l’endogroupe.
  • Maintien du conflit intergroupe : renforcement des préjugés et production de prophéties auto-réalisatrices.
  • Évitement de la menace par l’éradication de l’exogroupe et donc justification des actions violentes envers l’exogroupe.

Vous commencez à comprendre ? Un deuxième pour la route.

Corrélation illusoire

La corrélation illusoire est la tendance des gens à percevoir une corrélation entre deux classes d’évènements qui en réalité ne sont pas corrélés ou d’une façon moins importante que ne l’estiment les gens.

On peut l’appliquer à la formation des stéréotypes. Dans ce cas, les comportements les plus visibles sont ceux indésirables. Ils vont donc être amplifiés aux dépens des comportements normaux ou désirables. L’endogroupe va avoir tendance à surestimer le nombre de comportements indésirables réalisés par l’exogroupe.

Dans le cas de la conduite routière, on va surestimer les mauvais comportements des autres, c’est le cas par exemple avec les « motards qui conduisent tous comme des fous » pour les automobilistes non-motards.

« Brebis galeuse »

L’effet brebis galeuse à pour objectif de valoriser l’endogroupe.

Il implique que :

  • Les sujets évaluent plus négativement un membre antipathique de l’endogroupe qu’un membre antipathique de l’exogroupe.
  • Les sujets évaluent plus positivement un membre sympathique de l’endogroupe qu’un membre sympathique de l’exogroupe.

Donc on favorise l’endogroupe et on a tendance à dévaloriser un membre de l’endogroupe antipathique, voir à l’exclure. Cela permet donc en tant qu’individu de renforcer son statut social par l’intermédiaire de son endogroupe.

D’où les réactions que l’on a vues plus haut, quand je lis « tous les hommes sont potentiellement des violeurs » je vais avoir tendance à créer une catégorie « violeurs » dont je ne fais pas parti et dont je vais dire beaucoup de mal. Ça me permet de valoriser le groupe des « hommes biens » dont je fais partie et d’exclure les violeurs.

Prophéties auto-réalisatrices

Les prophéties auto-réalisatrices sont le fait qu’une personne ayant initialement adapté des croyances erronées à propos d’un individu amène cet individu à se comporter de telle sorte qu’il confirme ces croyances.

Une petite observation de Twitter et tombe sur le schéma suivant :

  • A : « Tous les B sont des cons » — Comportement attendu
  • B : « Pas un A pour en rattraper un autre » — Comportement de la cible
  • A : « J’avais bien raison » — Confirmation et renforcement du stéréotype

Les études sur le sujet sont nombreuses. Une d’entre elle consistait à faire faire un test de QI (Quotient Intellectuel) à des élèves, puis à jeter les tests sans les avoirs dépouillés. On attribuait alors aléatoirement un score aux élèves et on annonçait publiquement les résultats. Un mois après les élèves avec un « bon QI » voyaient leurs notes s’améliorer et ceux avec un « mauvais QI » voyaient leur moyenne baissée.

Conclusions

Les 4 processus expliqués ci-dessus peuvent bien sûr se combiner en plusieurs temps.

Si on reprend l’exemple de base :

  • B : Un B fait le con (ou on rapporte qu’il a fait le con).

L’erreur fondamentale d’attribution et la corrélation illusoire s’appliquent ce qui donne :

  • A : « Tous les B sont des cons et c’est de leur faute, il ne faut pas leur trouver d’excuses »

L’effet de Brebis galeuse se met en route, avec la prophétie auto-réalisatrice

  • B : « Pas un A pour en rattraper un autre, c’est faux, les cons ne sont pas des B »

La prophétie se concrétise, les stéréotypes se renforcent.

  • A : « J’avais bien raison, Tous les B sont vraiment des cons »

L’erreur fondamentale d’attribution et la corrélation illusoire marchent à plein.

Revenons aux probabilités, on voit là que les probabilités jouent dans la perception entre les groupes, mais pas de manières rationnelles. Il faut se replacer du point de vue d’un individu percevant un ensemble des groupes sociaux dont il fait partie ou non. Il va percevoir ou ressentir certains comportements et suivant l’origine, la fréquence et la valorisation de ceux-ci. Il va les amplifier ou les négliger, le tout dans un contexte social.

Alors que faire pour modifier cette perception et éviter le cycle ci-dessus ? Il faudrait être en mesure d’influencer les comportements (ce qui fera évoluer les idées et pas l’inverse). Plusieurs solutions peuvent se présenter suivant le cadre et la taille du groupe :

  • Donner un objectif qui ne peut être réalisé qu’avec la collaboration de tous. Ça va réduire les effets de groupes pour constituer un groupe unique qui a réussi l’objectif.
  • Poser un cadre bienveillant qui permettra le respect et l’évolution de chacun malgré/grâce à leurs différences.
  • Des leaders exemplaires, par imitation les suiveurs vont adopter leurs comportements (ça marche dans les deux sens malheureusement).
  • Modifier la loi et la faire appliquer. Par exemple, l’interdiction du tabac dans les lieux publics à modifier fortement les comportements et par la suite l’attitude vis à du tabac et des fumeurs.

Il y a sans doute d’autres mécanismes, une solution est sans doute d’être capable d’identifier les processus à l’œuvre afin d’en prendre conscience et de pouvoir les interrompre dans une certaine mesure.

Auteur :

Lead UX designer en Freelance depuis le dernier millénaire ! J'aide à concevoir des services, des applications en étant centré sur l'utilisateur et ses usages.

1 commentaire

  1. Article très intéressant, ça me rappelle une étude en neuro-science qui traitait de l’empathie et l’inverse. Elle montrait les zones du cerveau touchées quand on juge un groupe. Ils avaient soumis un supporter d’une équipe A à des petits chocs électriques, et un supporter d’une équipe B adverse était analysé : quand il voyait le supporter souffrir, la zone de la récompense était active dans le cerveau. Ça lui provoquait du plaisir. C’est hallucinant la manière dont on peut faire faire n’importe quoi aux gens en les influençant et en les destituant de tout raisonnement personnel.
    Bref il faudrait que les influenceurs s’arrêtent de véhiculer des clichés, stéréotypes et des idées toutes faites pour manipuler les gens et les empêcher de réfléchir par eux même (souvent véhiculés par les médias).
    Des centaines d’idées préconçues sont omniprésentes sans qu’on s’en rende compte et nous dirigent vers des jugements de personne sans qu’on les connaisse. L’ignorance est à prendre en compte. Plus on éduque la population, moins elle sombre dans l’ignorance et moins elle sera prisonnière de jugements.

    Finalement il y a un parallèle à faire avec l’UX : la façon dont un groupe peut être influencé peut être un biais 🙂

Les commentaires sont clos.


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