« Montrez-moi une innovation, un projet innovant ? » C’est la question que l’on m’a posée lors d’un entretien où je présentai mes travaux. Mais je suis resté un peu pris de court sur le sujet et je pense même avec un peu de recul que j’ai répondu à côté de la plaque. La question me turlupine depuis et je vais essayer d’y répondre !
Déjà, je ne suis pas un « créatif » dans le sens où je ne vais pas créer ex nihilo un truc méga-super innovant par un tour de magie. D’un autre coté, j’ai déjà abordé le sujet (il y a deux ans déjà), c’est peut-être intéressant en termes de création artistique, mais en termes d’ergonomie, on va rapidement dans le mur.
Pourtant, J’ai bien l’impression de travailler sur des sujets et de proposer des solutions innovantes. Mais c’est quoi une innovation d’ailleurs ? Je reprend la définition de Arnaud Groff :
« L’innovation est la capacité à créer de la valeur en apportant quelque chose de nouveau dans le domaine considéré tout en s’assurant que l’appropriation de cette nouveauté se fasse de manière optimale. »
Ah, oui, là cela correspond bien à ce que je peux proposer !
Deux exemples (et demi).
J’ai travaillé sur les téléphones mobiles, en 2004 et 2005 pour France telecom R&D, à la création d’un look&feel entier ainsi qu’aux applications associées. Quasiment tout ce qui est proposé était en avance sur son temps par rapport à la cible. On a doucement souri quand deux plus tard Apple sort l’iPhone, avec des interfaces très similaire à ce que l’on avait spécifié.
En 2008, sur la télévision d’Orange, j’ai proposé des changements sur le live (les programmes télé en direct) qui peuvent paraître mineurs.
- L’accès aux commandes (Enregistrer, sous-titre, etc…) par la touche « Ok ».
- La fusion des divers bandeaux qui s’affichait soit par la touche « infos », soit au moment du zapping, soit en faisant « infos » puis « ok », en un seul bandeau unique.
La mise en œuvre de ces propositions a été longue et tortueuse, mais au final on obtiendra une simplification drastique de l’interface sur la fonction de base de la télévision et une meilleure intégration des services comme la TV à la demande. Autre conséquence, la télécommande pourra aussi être fortement simplifiée en supprimant de nombreux boutons. L’épidémie de varicelle sera terminée !
Dans la même lignée, il y a le travail que j’avais déjà présenté ici sur la grille des programmes. Il n’existe pas sur la télévision, à ma connaissance, de grille des programmes aussi propre, aussi innovante que celui-ci.
Mais là, on est confronté à un autre problème, c’est trop différent, trop en rupture et donc on rencontre une frilosité certaine des décideurs pour mettre œuvre cette solution.
Mais là, on n’a toujours rien vu d’innovant ?
Sur les projets, je me trouve régulièrement confronter à des remarques du type « C’est bien, mais en fait ce n’est pas compliqué de faire de l’ergonomie ? » où « Mais on n’aurait pas pu faire comme ça ? » « Ce n’est pas très compliqué, on retrouve la même chose dans… » Derrière ces réflexions, il y a une réalité c’est qu’il est possible de faire pire ! Et quand c’est pire, quand c’est compliqué, les gens s’en souviennent car ils ont dû faire des efforts pour s’en sortir ! Voir, ils sont fiers de maîtriser un système complexe.
Mais le travail de l’ergonome et toute la méthodologie déployée pour comprendre l’activité des utilisateurs, va tendre à gommer la complexité des outils. La complexité ne va pas disparaître, certaines tâches sont complexes et doivent le rester, mais l’outil pour réaliser ces tâches ne doit pas ajouter une couche de complexité. L’innovation va donc se situer dans cette absence de complexité.
Pour en revenir à la question de base, « Montrez moi une innovation, un projet innovant ? », je pense simplement que c’est difficile de montrer « une absence ». Pour montrer en quoi c’est innovant, il faut alors montrer en quoi c’était obsolète avant. Pour montrer comment c’est simple, il faut montrer comment ça peut être complexe. C’est comme le vin ou le pain, rien de tel que de goûter un gros rouge qui tâche, une baguette de supermarché, pour se rendre compte de la qualité d’un vin d’un producteur ou de la baguette au levain du boulanger. Il y aussi des cas où il n’y a que du « gros rouge qui tâche », comme pour la grille des programmes Tv, alors personnes n’est capables de faire la différence à part les deux ou trois personnes qui ont travaillé le sujet.
Et oui, comme je dis souvent :
« Ergonome, comme Femme de ménages, c’est un métier ingrat, plus on travaille, plus c’est propres, moins ça se voit ! »