Vendredi matin, une session de la conférence ErgoIHM 2012 était consacrée à la qualité de vie et l’expérience utilisateur. Deux exposés concernaient la télévision avec des approches bien différentes, toutes les deux intéressantes. Le premier concernait l’usage fonctionnel des services audiovisuels, le deuxième les conditions d’usage d’une technologie de télé-lien social par des personnes âgées.
Les usages des services audiovisuels.
Le résumé :
L’arrivée de nouveaux services interactifs sur la télévision IP suppose une modification du modèle d’interaction proposé sur le téléviseur. Afin de valider et d’orienter cette potentielle évolution, notamment en déterminant la fréquence et l’enchaînement des actions touches réalisées par les utilisateurs avec la télécommande, une étude basée sur la collecte automatique de traces a été réalisée in situ auprès de 50 foyers pendant un mois. Les enseignements principaux de l’étude sont que le taux d’activité reste très faible et que le service de télévision diffusée est toujours largement prépondérant. On note toutefois, et de façon inédite, une utilisation croissante de l’interface graphique.
Disons-le tout de suite, je connaissais déjà les résultats vu que c’est un travail qui a été réalisé par l’équipe d’Orange avec qui je collabore régulièrement.
Des sondes infrarouges ont été placées à côté de la télévision dans une soixantaine de foyers. Ces sondes captaient tous les appuis touches de toutes les commandes utilisées et enregistraient ces traces sous la forme :
11/03/2010 15:21:29.456 ; Melies ; Code ; mitsubishi_tv_rm67905 ; vol+ ; 11100010010001000
Cela représentait 452 commandes différentes sur 121 modèles de télécommandes. Mais seulement 172 commandes ont été utilisées au moins une fois. Le tout était enregistré sur un mini-pc. Cela représente plus de 280 000 émissions IR identifiées et enregistrées.
Dans un deuxième temps l’ensemble de ces logs ont été traités pour donner les résultats suivants. Il apparaît que les blocs de touches les plus utilisées sont :
- Le volume
- Le zapping P+, P-
- Le pavé numérique
- La navigation
- La touche « power »
Les autres touches sont peu utilisées. Les enchaînements entre les touches sont aussi étudiés ce qui permet d’envisager certaines transitions du type « l’utilisateur change de chaîne puis règle le son » ou « Il zappe avec p+ puis revint au début avec la touche 1 ». La connaissance de ces transitions a un impact sur la conception de la télécommande et donc de l’interface.
Les conditions d’usage d’une technologie de télé-lien social par des personnes âgées
Le résumé :
L’objectif de cette étude est d’évaluer les conditions d’usage d’un dispositif de télé-lien social pour le maintien à domicile de personnes âgées dépendantes. À partir de l’évaluation des performances d’usage (utilisabilité) et des intentions d’usage (acceptabilité) menée sur deux groupes de 15 utilisateurs (jeunes seniors et personnes très âgées), nous montrons d’une part, que cet environnement n’est pas adapté aux caractéristiques et capacités des personnes les plus âgées et, d’autre part, qu’il ne répond pas non plus aux attentes de ces individus. On observe aussi que les difficultés d’usage déstabilisent et fragilisent ces sujets. À partir de ces constats, nous proposons une série de recommandations ergonomiques et d’accompagnement à la formation.
Le dispositif est un système de télé-assistance qui se branche sur la télévision et qui se manipule à l’aide d’une télécommande spécifique.
La méthodologie employée est intéressante car elle est mesure l’efficience sur plusieurs facteurs.
L’efficience, relative à la charge de travail générée par l’usage du dispositif, a été appréciée à partir de différents indicateurs : le nombre d’erreurs commises (IE pour indice erreur), le nombre de stratégies pour réaliser le scénario (IS), le temps de réalisation de chaque scénario (IT), le nombre de sélections/actions sur la télécommande (IA), le nombre de fenêtres/écrans parcourus (IF).
On compare donc pour chaque facteur le nombre d’opérations théoriquement attendues pour effectuer le scénario et le nombre effectivement réalisé par l’individu. Les problèmes d’ergonomie sont aussi classés par rapport aux critères heuristiques de Bastien et Scapin.
Les principales difficultés, tous groupes confondus, reposent sur les problèmes de guidage (36%), de charge de travail (22%) et de signifiance des codes (17%).
Le processus d’analyse est intéressant, par contre les recommandations en fin d’article sont, pour moi, inadaptées. Pour avoir posé la question lors de la présentation, il en ressort que le projet a été fait en partenariat avec un industriel qui n’était pas vraiment à l’écoute de ces retours. C’est malheureusement assez classique comme réaction quand on prouve a quelqu’un que son produit est mauvais.
Mon avis : Le dispositif est globalement simpliste. Plusieurs choses me choquent.
- La télécommande avec les touches de couleurs entraîne des allers et retours entre la télécommande et la télévision nécessitant une accommodation de la vue qui est difficile pour les personnes âgées (ou nécessite un changement de lunettes).
- L’interface est simpliste. C’est pour des personnes âgées, mais sûrement pas des débiles ! Leurs capacités cognitives sont intactes et il ne faut pas les infantiliser. Et même, un enfant ne voudrait pas se servir d’une telle interface !
Je conseillerai à l’industriel qui développe ce système « Lokis » d’arrêter les frais.
Retour sur Ergoihm 2012
Ces deux articles, vous ont donné une idée des problématiques évoquées lors de cette conférence. On est bien loin de l’atmosphère d’une conférence comme ParisWeb, mais les échanges sont aussi très riches, avec un niveau d’expertise élevé. Cela permet aussi de comprendre d’autres aspects de l’ergonomie et de la conception d’IHM bien éloigné en apparence du Web ou des usages de tous les jours. Mais en réalité utiliser une tablette tactile dans un poste de pilotage d’avion, est ce bien éloigné d’une utilisation en voiture ou en étant vautré dans son canapé l’attention à moitié fixée sur la télévision ?
Bibliographie
- Analyse de l’usage fonctionnel des services audiovisuels des foyers disposant de l’IPTV Cédric BERTOLUS (Orange D&U Chatillon), Thibaut FEUILLET (Orange R&D Cesson Sévigné), Daniel BAILLEUL (Orange D&U Chatillon) Page 172
- Conditions d’usage d’une technologie de télé-lien social par des personnes âgées : Enjeux psycho-ergonomiques pour le maintien à domicile Marc-Eric BOBILLIER-CHAUMON, Florence CROS, Mohini VANHILLE, Bérénice BATISSE (Univ. Lyon 2- Bron) Page 180
Alors pour répondre à ta dernière question, la différence se trouve dans le contexte : Sans même parler du nombre d’heures de formation initiale pour devenir pilote de ligne, la simple qualification à un nouveau type d’avion (par exemple passer d’un A340 à B777) prend des mois de formations. On peut donc proposer des solutions plus performantes au détriment de « l’apprenabilité ».