Je suis tombé en passant sur linkedin, oui, grosse erreur de base, sur une belle série d’offres d’emploies chez Décathlon. Disons tout de suite que les postes proposés sont sans aucun doute très bien, ce qui est plus problématique c’est le recrutement, à commencer par l’annonce.
J’ai regardé plus longuement celle portant sur le poste « HEAD OF RESEARCH DESIGN – CORE DESIGN (H/F) » ou le PDF de l’Offre d’emploi head of design
À la fin sera le commencement.
Le dernier paragraphe de l’annonce est le suivant :
Décathlon est engagé dans l’inclusion et la non-discrimination, et agit ainsi quotidiennement en faveur du handicap, des séniors, de la mixité sociale, de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous recrutons avant tout des personnalités et la diversité au sein de nos équipes est un enjeu majeur, car elle est source d’innovation et de performance.
Si vous souhaitez en savoir plus sur nos engagements, vous pouvez consulter ce site : https://recrutement.decathlon.fr/nos-engagements/diversite/
La question que je me pose c’est : « Est-ce que cette offre d’emploi est compatible avec cet engagement ? »
Déjà pourquoi cet engagement vient en dernier ? Tout le monde sait ce que fait Décathlon, pas besoin de l’expliquer en long et en large, mais l’engagement sur l’inclusion, c’est différencient, ça mérite d’être en premier. Si c’est correctement mis en œuvre, ça à un gros impact sur l’organisation.
Donc regardons le début de cette annonce :
- Présentations de Décathlon, attention ça parle de valeurs « Vitalité, Responsabilité, Générosité et Authenticité. »
- Le contexte du poste : 4 métropoles possibles et on te le dit deux fois. C’est important pour la suite.
- Une petite dose de franglais des familles au passage « Nous recherchons un-e head of research pour leader la practice Research »
- Créer un environnement de travail efficient et « bienveillant » le mot magique, sauf que c’est aux RH de faire ce boulot-là en recrutant correctement et en écartant les gens toxiques.
- Les futures missions ne sont pas déconnantes, mais tu ne sais pas trop quel est ton réel pouvoir et les moyens dont tu disposes, mais tu auras toujours le temps de poser la question.
Rien de bien méchant jusque là, ça reste dans le très classique de l’offre d’emploi.
Sur le profil, ça commence bien avec l’expérience requise, puis ça dérape, avec des éléments qui n’ont rien de mesurable. Et qui sont d’ailleurs présents dans toutes les offres :
- Vos arguments sont avant tout porteur de sens et vous prouvez par l’exemple
- « Nan, d’habitude je pipote et je m’en tire avec une pirouette. »
- L’intraprenariat est votre mindset, l’utilisateur-rice est votre meilleur-e ami-e et la data est votre langage.
- NO, attention BULLSHIT WARMING comme on dit en Franglish
- Vous avez d’excellentes qualités à l’oral, à l’écrit (et aussi sur le terrain, le stade, le mur, les airs ou dans l’eau aussi)@!
- Si tu as un handicap physique, tu fais comment ? C’est un peu récurrent dans l’annonce cette « passion du sport » comme si tu demandais à un médecin d’être passionné de médecine ou de 1er soin ? Non lui demande d’être compétent ou expert, mais pas passionné.
- Vous avez d’excellentes qualités d’organisation
- Pourquoi ? On peut être un excellent designer et être parfaitement bordélique ou du moins avoir sa propre organisation. Tu ne recrutes pas un comptable, mais un designer expert.
- Vous êtes ceinture noire 2 Dan en anglais (Niveau C1)
- L’anglais, ça c’est un bon exemple de discrimination. C1 ça veut dire « Utilisateur expérimenté », parler vraiment couramment, autrement dit il faut avoir vécu ou travailler dans un environnement anglophone à un moment de sa vie. Pour quelqu’un de dyslexique, ça peut être un niveau très difficile à atteindre ou conserver sans pratiquer régulièrement.
- La question derrière ça c’est pourquoi un tel niveau ? Ça va servir à quoi ? C’est pour parler anglais toute la journée ? Ou juste comprendre les 3 emails qu’un collègue d’une autre nationalité aura écrits dans un mauvais anglais ?
Là on commence à percevoir la dissonance entre « On veut de la diversité », mais vous devez renter dans le moule de « la bienveillance, du séjour dans un pays anglophone, du bon orateur » L’archétype du gars sportif sorti d’école de commerce, sauf que ce n’est pas du tout le boulot !
Et le démoulage ne tarde pas, avec la cerise sur le gâteau
- On dit de vous que vous inspirez votre entourage.
- Vous avez évangélisé la research dans une autre entreprise.
- Vous avez une expérience internationale à nous raconter.
- Vous avez déjà une expérience dans une entreprise de sport.
Donc en fait ça serait bien de ressembler au stéréotype du candidat parfait, ça serait rassurant. Ta « personnalité », ton « authenticité » on s’en fout un peu dans la réalité vraie, il ne faudrait pas accrocher au fond du moule.
Le « nous offrons » est une caricature. Déjà tu n’offres pas, tu rémunères un travail.
- Déjà la première contrepartie que tu proposes c’est un salaire, du pognon ! Ça serait bien d’en parler là directement en donnant une fourchette, voir une grille précise et pas un râteau. Tu sais pour éviter les putains de 20% de différence entre hommes et femmes.
- Sur la flexibilité du travail « lieu et rythme », ça serait mieux d’être précis et cohérent. Flexible : c’est juste les horaires comme tous les cadres ou c’est télétravail, pendulaire, à 100%, ça peut être un 4/5 éme ? Et le lieu ? Parce qu’au début on a deux fois «Lille, Paris, Lyon ou Nantes » ce n’est pas à proprement parlé « hyper diversifié », là, c’est parti pour recruter des urbains.
- Mac ou PC, bah oui j’espère bien que je peux choisir mes outils et que si j’ai besoin de matos, il ne faut pas faire trente mille demandes.
- Équipe, ok
- Formations, je crois, bien que c’est une obligation légale de l’employeur.
On garde le meilleur pour la fin, le processus de recrutement :
- Un premier entretien
- Un « case-studies » donc plusieurs heures/jours de travail pour un post de lead ? On demande en gros à un lead de faire un boulot d’étudiant en faisant une étude de cas. Sérieusement ? La réponse est simple, soit le cas est trop simple et peut être traité sur un temps court, une journée max, et donc ça ne va rien montrer pour le recrutement, soit il est complexe, il faudra beaucoup de temps et ça n’a rien à faire dans un recrutement.
- 3 Entretiens avec des chefs : que des hommes, ça fait super envie, mais « qui se ressemble, s’assemble… »
- Une journée de visite à Lille. Pourquoi pas ? C’est au frais de Décathlon ?
Donc au bas mot 3 jours de disponibilité ou de boulot minimum… Si tu es déjà en poste, avec une famille, la charge mentale qui va avec et genre une femme. Ça va être un peu compliqué, non ?
En quoi ce processus assure d’embaucher le ou la meilleure candidate pour le poste ? Par exemple, les entretiens sont un très mauvais moyen pour faire un choix éclairé parmi de bons candidats. Combien de personnes sans doute parfaites, mais pas dans « la norme », pour le poste vont juste être rebutées par le processus ? Ce n’est pas comme si les « HEAD OF RESEARCH DESIGN » expérimentés ça couraient les rues. On est sur un marché de niche.
Et enfin il y a un truc qui s’appelle « la période d’essai » et qui est faite justement pour savoir si l’entreprise et la personne recrutée sont compatibles !
Globalement, cette annonce mériterait d’être rédigée plus sérieusement et plus en cohérence avec l’objectif de diversité. C’est décevant d’avoir une annonce générique à 50% pour un poste de ce niveau.
J’ai bien failli m’étouffer avec le « Nous recherchons un-e head of research pour leader la practice Research » mais la suite était limite pire 🙂
Les annonces d’emploi sont une catastrophe, ça devient de pire en pire. On devrait faire subir ce processus de recrutement aux rédacteurs des annonces en question (et je genre au masculin exprès).
J’ai récemment envoyé bouler une proposition d’un certain C. C. qui demandait facilement 2 jours de travail pour un « TP » avant même le premier entretient téléphonique.
J’ai fait remarqué qu’un de mes projets ouverts sur Github correspondait, et ils étaient tout à fait d’accord.
Sauf que non, et je le cite :
« le rôle le plus important de ce TP : nous permettre d’évaluer l’intérêt des candidats pour notre entreprise et notre métier vu que c’est le cœur du sujet. »
Genre, t’abandonne un poste en CDI ou tu quittes ta position d’indépendant, la période d’essai est justement fait pour ça, par pour que tes week-ends se fassent bouffer non stop à bachoter. J’ai fait ça tout l’été, maintenant, plus de deux heures de travail gratuit, c’est non et non.
Quel employeur se croit suffisamment important pour demander un tel investissement ? Qu’est-ce que cela prouve sur la gestion interne des ressources humaines sinon qu’on demandera systématiquement des heures sups le week-end et non payées ?
« ah oui, mais t’as pas envoyé de lettre de motivation ». Sauf qu’elle n’avait jamais été demandée sur la page de recrutement.
Ah oui, pour compléter à mon précédent commentaire, des lectures que j’aurais jamais crû être d’accord y’a 5 ans :
– https://www.internetactu.net/a-lire-ailleurs/hackathons-une-culture-dexploitation/
– https://www.hackersrepublic.org/culture-du-hacking/hackathon-piege-cons
– https://start.lesechos.fr/innovations-startups/tech-futur/exploitation-des-developpeurs-le-cote-obscur-des-hackathons-1176433
(Raphaël, si le nom est trop transparent dans le précédent commentaire, modifie le)